L’effet de sol
Galerie Emmanuel Hervé


Marianne Derrien


Se rapprocher du sol, l’air se bloque, le vide devient conducteur. Phénomène aérodynamique, l’effet de sol concerne la portance et la traînée d’une surface en mouvement à proximité du sol. Ce rapport à l’espace et à la distance a déterminé l’ensemble des nouvelles pièces de Pierre Labat exposées à la galerie Emmanuel Hervé. À la suite de l’exposition Kaolin interrogeant le pouvoir d’une blancheur revendiquée et assumée pour faire œuvre, Dum Dum, (2008-2015) persiste et signe, telle une sculpture-épicentre que Pierre Labat a réactivé pour l’espace de la galerie. Au cœur de cette nouvelle exposition aiguisée et aiguillée par la fente sombre et lumineuse de Dum Dum, Pierre Labat compose ici deux nouvelles séries d’oeuvres, d’une part, une série de cartes et d’autre part, une série de plâtres et de pigment.

Contextuelles, ces nouvelles œuvres le sont mais elles ouvrent aussi un nouveau chapitre au sein d’une odyssée formelle et matérielle proposée par l’artiste. Un des points de départ de cette exposition est une série de cartes repensées à l’aune des trajectoires effectuées par l’artiste de 2001 à 2015. Chacune de ces cartes faite en tiges de laiton représente un parcours personnel ou professionnel conjuguant le lointain avec le proche : des premiers pas à Paris aux voyages liés aux expositions, des attaches familiales aux nouvelles rencontres. Les tiges sont reliées et maintenues par un petit morceau de plastiline contenant l’empreinte de l’artiste. Ces points de concentration sur des déplacements façonnent un réseau de points, de lignes et de plans révélant de nouveaux centres de gravité. Entre microcosme et macrocosme, le temps et l’espace sont ici noués et scellés tout comme la forme télescopant récit personnel et abstraction moderniste. Cette appréhension du monde au travers de la carte renvoie à une histoire de la maîtrise de l’espace et de sa connaissance : initiation par le voyage et cartes de navigation. Pierre Labat propose ainsi un voyage introspectif convoquant la géographie, l’algèbre et la métaphysique. De l’imagination à la conscience de l’espace, cette constellation intime affirme la position de l’artiste, un « ici et maintenant » de l’exposition qui se tient désormais à la galerie. Évoquant ces multiples déplacements, c’est donc bien la capacité de dire « je suis là » qui est ici en jeu. Cette fabrication de six cartes à échelle personnelle confirme une emprise du lieu, celui de l’oeuvre et du « travail de l’art ». 1

L’art travaille autant qu’il se travaille, précisait Jannis Kounellis. L’artiste ne vient pas avec un travail mais vient à la galerie pour faire le travail. C’est ainsi que Pierre Labat interroge cette transformation du visible et du non-visible : le temps de travail sur place pour façonner les pièces et l’usage de la galerie comme atelier. Faisant écho aux théories de création du monde et des univers parallèles, la série des plâtres a été produites en suivant ce protocole de travail : qu’est-ce qui structure l’objet ? Comment faire de l’abstraction ou plus précisément comment faire advenir une image résolument abstraite ?

Les choses se répondent et se contredisent au sein du support et de l’image. Le blanc du plâtre fige l’action du pigment jeté sur la surface. En quelques secondes, l’image se crée au travers de ce rituel alchimique tenant de la lenteur et du hasard. Être sa pure représentation. Main à l’oeuvre, main dans l’oeuvre, ce « réel capital » est omniprésent. Entre intention et contingence, la dispersion des éléments évoquent les illustrations scientifiques du Big Bang, les faux marbres de la Renaissance, entre création et chaos. Par cette simplicité des matériaux et ce langage pictural, Pierre Labat affirme les possibilités de l’espace pour mieux éprouver son centre.

1. Catherine Strasser. Du travail de l’art : observation des œuvres et analyse du processus qui les conduit
Paris : Ed. Du Regard, 2006


Marianne Derrien

septembre 2015